vendredi, avril 14, 2006

9e partie: Cecil Zender ou volteface

Votre guide dans cette aventure a toujours les yeux rivés sur la version d’elle-même au passé, noyée dans l’inconscience, et soupire :

Vous trouvez sans doute que j’aie eu, à cet instant, une attitude défaitiste, que j’aie baissé les bras trop rapidement … et pourtant, je n’étais pas loin de la vérité. C’est que tout récemment (depuis que je patauge dans le monde astral, en fait) que je sais ce qui s’est passé avec le reste de l’expédition. Ça a tout d’abord commencé avec Hope qui s’est rendue compte que quelqu’un manquait à l’appel : avec le décompte, mes compagnons se sont rendus compte de mon absence. Sans elle… Sans Hope, peut-être que je serais aujourd’hui la Martyre Elfe qu’on voulait faire de moi. Je lui en dois une…

L’équipe a donc rebroussé pas (à l’exception de William, qui avait décidé de continuer le chemin en direction de l’Objectif…) : c’est quand ils ont eu les canons d’un tank et de deux cracheuses pointés dans leur direction qu’ils ont compris dans quel merdier j’étais (et eux également).

Dans l’habitacle du tank, les deux hommes sont branchés aux commandes via leurs data jack (implant cybernétique situé dans le cerveau permettant de se connecter à n’importe quel outil électronique, et qui permet d’activer des commandes par la pensée), concentrés sur les nouvelles cibles à abattre. Karen est réveillée par le vacarme ; d’abord elle semble désorientée, puis aux aguets, avec l’envie visible de croire en son équipe, tout en déployant tous les efforts possibles pour ne pas se laisser aller à ce qui pourraient être de faux espoirs.

Dehors (car vous venez d’être transporté, seul cette fois-ci, juste au-dessus du tank), Hope, Flash et Blink ont passé la porte, devenant ainsi des cibles faciles ; Lunatics est resté dans l’embrasure de la porte, à couvert. Blink attaque un des hommes à la cracheuse pendant que Flash et Hope se chargent de l’autre. Hope se retrouve gravement blessée dans le procédé, transpercée par une rafale de la cracheuse, mais Flash parvient à neutraliser l’ennemi. Le tank vise Flash (qui n’arrive pas à actionner la cracheuse, faute de munitions), mais se tourne vers Blink (qui, bien qu’elle n’ait jamais touché à ces engins de sa vie, a rapidement compris le mécanisme), qui était brusquement devenue beaucoup plus dangereuse. Un plan est forgé sans avoir eu à être discuté: Blink servirait de distraction pendant que Flash… Flash faisait quoi au juste ? Le voilà qui, sans prendre couvert, s’élance en direction du tank et commence à le gravir. Une fois arrivé sur le toit du véhicule (bien qu’il soit agenouillé, il vous serait facile de le toucher), Flash entreprend d’ouvrir l’écoutille avant de menacer de son fusil les deux hommes qui s’y trouvent. En fait, menacer est un bien grand mot pour dire que les hommes n’ont à peine eu le temps de réagir qu’ils avaient déjà une balle dans la tête. Voilà pour faciliter les modalités de libération.

Flash entre et vous le suivez. Les deux Karen sont toujours à l’intérieur, n’ont pas bougé d’un pouce. Vous ne pouvez deviner l’émotion qu’éprouve Flash à cet instant en découvrant que sa camarade est saine et sauve (pas plus si sa quasi-nudité l’a fait réagir, mais quelle importance ?), mais il est évident que la captive est plus que reconnaissante de son geste. Alors que Flash passe ses bras autour d’elle dans le but de défaire les liens de la captive, Karen laisse tomber sa tête contre l’épaule de son chef et vous l’entendez faiblement murmurer :

« Je ne pensais pas qu’un jour je dirais ça à un humain mais… (Elle soupire : ) … mon héros… »

En silence, Flash l’aide à se mettre debout, constate le pas chancelant de sa camarade, et l’aide à s’approprier des vêtements de rechange (puisque ceux de Karen, ainsi que son équipement, sont introuvables). Flash aide Karen à sortir du tank. Vous et votre narratrice les suivez (il n’y a plus rien à faire ou à voir dans ce tank). Blink demande à Karen si elle va bien ; cette dernière lui répond d’un simple hochement de la tête, encore trop sonnée pour parler. Le groupe s’en retourne vers l’accès qui devait les conduire à Cecil Zender.

De mon côté, dit votre conteuse, je n’avais qu’une seule envie : dormir. J’étais KO et je n’avais aucune arme. Le moindre sortilège que j’aurais lancé aurait risqué de me plonger dans l’inconscience et, pire, d’empirer ma plaie au flanc. J’étais en position d’inutilité totale : une limace aurait été plus dangereuse que moi. Bien que Hope soit une adepte physique hors pair, la gravité de ses propres blessures l’avait mis hors combat. Sur les six combattants que nous étions à l’origine, seuls trois étaient encore sur pied : Flash, Lunatics et William. Parlant de William, où avait-il disparu pendant que les autres étaient partis à ma rescousse ? Bien… Au lieu de vous montrer la scène, comme j’ai fait depuis le début de cette mission, je vais plutôt vous la montrer en bande dessinée, puisque la situation était vraiment trop ridicule.

BANDE DESSINÉE : QU’EST-IL ARRIVÉ À WILLIAM ?
IMAGE 1 : William s’éloigne du reste du groupe en continuant son chemin dans le couloir : tout au bout, il y a une porte d’ascenseur. William s’en approche en fredonnant des « doum-pidoum-pidoum ».
IMAGE 2 : William appuie sur un bouton et la porte s’ouvre. « Doum-pidoum-pidoum… »
IMAGE 3 : William est dans l’ascenseur, qui entreprend maintenant sa longue progression. Comme il n’y a pas de musique d’ascenseur (que voulez-vous, il s’agit quand même d’un bâtiment militaire !), le joyeux troll continue à fredonner. « …pidoum-pidoum-pidoum ! »
IMAGE 4 : L’ascenseur s’est enfin immobilité (BOUM !). « …doum-doum-pidoum… »
IMAGE 5 : Image des portes qui s’ouvrent, laissant voir le troll (William) à l’intérieur. « …doum-pidoum… »
IMAGE 6 : Un gros « BANG ! » remplit toute la case.
IMAGE 7 : On voit l’image du troll, de profil, qui tombe à la renverse.
IMAGE 8 : Gros plan sur la tête du troll, maintenant étendu par terre, un trou de balle entre les deux yeux.
IMAGE 9 : Vision en contre-plongée de ce qu’aurait vu William si il aurait été encore en vie : un homme aux cheveux clairs qui pointe son fusil en direction du cadavre encore chaud. Les insignes sur l’uniforme de l’homme sous-entendent qu’il est le chef de la base.
IMAGE 10 : « FIN »

Un brin pathétique, cette mort en dix images, mais je ne vois pas de meilleures manières de raconter cet épisode sans laisser pour compte son ridicule, son absurdité. Nous avons donc perdu un compagnon d’aventure parce qu’il avait battu des records d’imprudence, pour ne pas dire d’idiotie. …Hey, ne me regardez pas comme ça ! Mon plan de démolition du tank n’avait peut-être pas atteint ses objectifs, mais je vous assure que cette mésaventure a eu des conséquences positives par la suite ! Tandis que ça… allez, n’allez quand même pas me faire croire que son … sacrifice… a servi à quelque chose ! … Bon, corrigeons notre décompte : sur les six hommes (dit au sens large, bien entendu) qui avaient constitué cette équipe, seule la moitié tenait encore debout. Pas une très bonne performance : on a déjà fait beaucoup mieux que ça ! Alors, après avoir quitté la salle aux tanks, voilà ce qui nous a attendu…

Flash avait pris le même chemin que William quelques dizaines de minutes auparavant, après avoir spécifié à ses hommes qu’ils ne devaient pas le suivre, ce qu’était une histoire entre lui et le commandant de la base de l’AEC. Après qu’il ait tourné le dos au reste des troupes et pénétré dans l’ascenseur, le reste des troupes, dont la moitié reposait sur le sol, invalide, n’avait plus qu’à attendre et surveiller les arrières du chef. Heureusement qu’ils étaient à l’affût d’ailleurs, car d’autres soldats de l’AEC venaient de pénétrer dans la salle aux tanks via la porte externe, et menaient déjà leur assaut à coup de fusillades. Blink et Lunatics les repoussent du mieux qu’ils peuvent, alors que Karen semble à peine capable de garder les yeux ouverts ; quand l’ennemi est trop proche, Hope prend la relève au corps à corps, malgré son état agonisant.
La victoire est quelque peu incertaine, d’autant que Blink vient de recevoir une rafale qui lui sera, à coup sur, fatal. La situation est désespérée ! Alors que tout semble perdu pour la Rébellion, vous remarquez qu’un halo jaune encercle le corps de Blink, qu’il s’intensifie, se mue en flammes, brûlant les vêtements de la jeune fille, faisant sauter ses munitions. Jamais de toute votre vie vous avez entendu parler d’un phénomène pareil. L’air de votre accompagnatrice vous indique que cette manifestation n’est pas nouvelle pour elle, bien que celui de sa jumelle d’époque, ahurie et terrifiée, démontre bien que ça n’a pas toujours été le cas. Quand le corps, un instant avant inerte, de Blink se redresse entièrement et qu’il commence à flotter à un pied du sol, vous voyez ses compagnons s’écarter sous son passage, peu désireux de se retrouver sur son chemin. Un ennemi tire sur Blink ; les balles s’embrasent sans même la toucher. L’instant d’après, l’ennemi est transformé en torche humaine sous un simple geste de l’adepte. Le regard fixe, elle se dirige ensuite vers un second adversaire et lui réserve le même sort. Aucun allié n’ose l’approcher, espérant sans doute que l’absence d’agression les mettra à l’abri de sa colère ou de sa démence… Peine perdue : la voilà qui se tourne vers eux et approche lentement, en flottant.


L’illusion se brouille un peu sur cette dernière image :

Je ne me rappelle plus qui a posé le geste qui allait nous sauver tous… Peut-être Lunatics… Peut-être Flash, de retour de sa vendetta… Je crois que ce qui nous a protégé de cette… manifestation incontrôlée de Blink a été une balle bien placée (sans toutefois la tuer) qui l’aurait fait basculer dans l’inconscience. Mais je n’en suis pas très certaine…

Dès que nous avons pu, nous avons fui les lieux, Blink sous le bras (les flammes s’étaient éteintes quand elle a à nouveau perdu conscience), et nous sommes rendus en ville, là où Flash connaissait un bon médecin de rue. Les blessés passeraient la nuit dans la clinique, ceux qui étaient encore en état iraient dans un motel (j’ai été si secouée par nos aventures que j’aie bien failli passer la nuit à l’hôtel malgré mon état : c’est le prêtre, car il s’agissait en fait d’une clinique religieux, qui m’a rappelé la gravité de mes blessures). Les ressources disponibles étaient toutefois beaucoup trop maigres pour venir à bout des blessures de Hope ; nous avons du la conduire dans un hôpital « officiel », aux tarifs exorbitants, pour qu’elle ait une chance de survie. C’était notre seule option…

J’ai passé une très bonne nuit de sommeil. Au réveil, j’ai eu l’impression étrange d’assister à un des plus beaux spectacles de toute ma vie : Flash, enfin, Carol qui me regardait et qui me souriait. Lui aussi avait l’air d’aller mieux, beaucoup mieux même. Je ne me rappelle plus trop ce que je lui ai dit, pas même si je l’ai remercié de m’avoir sauvé, de ne pas m’avoir oublié… mais il m’a dit quelque chose que je me rappellerai toujours : « Je suis heureux que tu sois en vie, Karen. » Ça m’a laissé sans voix. Heureux que je sois en vie ? Malgré toutes ces fois où j’ai tenté de le provoquer (parfois avec succès), où j’ai critiqué ses ordres ? J’avoue avoir été trop surprise pour lui répondre quoi que ce soit, mais le long regard que nous avons échangé ensuite valait à lui seul un million de traités de paix entre Tir Tairngir et l’UCAS. Une poignée de main faite avec les yeux et qui scellait un lien qui s’avèrerait par la suite impossible à rompre.

Bien entendu, comme nous allions bien, nous avons été gentiment escortés vers la sortie (d’autres personnes auraient besoin de nos lits, nous a-t-on dit) et avons été rejoindre les autres. À mon réveil, je m’étais faite une promesse que je commençais à peine à appliquer : à défaut de l’appeler Flash ou Zender, j’appellerais maintenant notre chef Carol, et refuserais de l’appeler autrement (à moins que ça le dérange). Ce serait ma manière de lui signifier qu’il aurait maintenant ma fidélité et mon amitié, si bien sûr il désirait cette dernière. Nous avons été ensemble à l’hôpital pour se renseigner sur l’état de santé de Hope, tout en sachant que les droits de visite seraient limités au maximum : c’est pour ça que Carol n’a pu inviter qu’une seule autre personne avec lui. J’avais beau faire mon indifférente, tout en moi voulait être ce second visiteur. J’avais l’impression d’avoir raté une occasion, ce matin-là, d’avoir exprimé ma reconnaissance envers Carol, de lui avoir dit tout ce que j’avais à lui dire… J’ai eu beau faire semblant que le choix de Carol ne m’importait que très peu, je n’ai pas pu m’empêcher de sentir un triple saut dans ma poitrine quand je l’ai entendu dire : « Karen, tu viens avec moi. » Phrase très autoritaire, j’en conviens, mais il m’offrait du coup une opportunité qui, je le redoutais, ne se reproduirait plus.

Son état étant trop critique, Hope n’avait pas droit de visite. Son hospitalisation allait être très longue, mais on nous promettait de nous tenir au courant dès qu’il y aurait des changements dans son état. Il n’y avait rien de plus que nous pouvions faire pour elle. Une fois dans le stationnement, bien avant d’atteindre la voiture, j’ai arrêté Carol et l’ai remercié de m’avoir sauvé et que j’étais également heureuse qu’il soit en vie… Mais je me sentais tellement mal à l’aise à propos de ce dernier bout de phrase, pourtant si sincère, qu’il fallait que j’ajoute autre chose, quelque chose pour lui rappeler, qu’au fond, je n’avais pas changé tant que ça. « … même si, au fond, tu n’es qu’un humain ! » Sa réaction m’a surpris : il a éclaté de rire ! Il… riait ! Je sentais le rouge me monter aux joues : pas parce que j’étais en colère contre lui, non, mais parce que son rire faisait plaisir à entendre, ME faisait plaisir. Il riait encore quand il est monté dans la voiture, et j’étais muette comme une carpe, tentant à coup de fierté de cacher ma gêne, que j’espérais ne pas être trop évidente.

Tous ensemble, nous nous sommes rendus à la maison. Une discussion de groupe s’imposait, mais quelques surprises nous attendaient également…

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