vendredi, avril 14, 2006

3e partie: Tiphereth

Karen se penche et prend un verre de Perrier posé sur une table basse qui n’était pas là il y a quelques instants : un second verre s’y trouve également, laissé à votre attention. Elle porte le verre à ses lèvres et prend une longue gorgée, les yeux entrouverts, déguste un instant le liquide pétillant avant de l’avaler.

« Remuer de vieilles histoires me donne soif… »

Reposant le verre sur la table, elle se tourne à nouveau vers vous :

« Alors où en étais-je? …Ah oui… Comme je le disais, ma sieste, comme celle des autres passagers, a été de courte durée. Sans avertir, Loki a fait une manœuvre brusque vers la gauche et la Jeep a dérapé avant de basculer sur le côté. Il était vrai que les conditions routières étaient exécrables : non seulement nous n’étions pas sur une route, mais un orage avait commencé à se développer au dessus de nos têtes et la pluie avait déjà rendue le terrain impraticable. Le résultat du coup de volant était donc prévisible… Heureusement, il n’y a pas eu de blessures graves (quelques entailles causées par les débris de verre, quelques contusions, rien de grave), mais certains parmi nous ont toutefois perdu conscience pendant un bref instant.

« Lunatics, qui était assis à l’avant, était persuadé qu’un enfant avait croisé notre chemin, d’où la raison du dérapage. « Allons donc, lui ai-je dit, vous avez sûrement eu des hallucinations! » Mettez-vous quand même à ma place : que voudriez-vous qu’un enfant fasse en plein milieu des bois, la nuit, sous cette pluie torrentielle? Qu’est-ce qu’un enfant ferait là? Mais Lunatics maintenait ses propos : il avait vraiment vu un enfant. … Quand Loki, qui avait perdu conscience, s’est enfin réveillée, la première chose qu’elle a demandée était « est-ce que j’ai frappé l’enfant? ». Et une victoire pour la poubelle ambulante!

« Il était évident que nous ne pouvions pas rester dans la voiture : la position « latérale » du véhicule était très inconfortable pour ses passagers. Loin d’être l’idéal pour nous reposer! D’autant plus que nous risquions d’embourber davantage notre véhicule en restant à l’intérieur. C’est là que Loki s’est souvenue avoir aperçu, quelques instants avant l’incident, une lumière dans les bois. De toute évidence, une habitation se trouvait à proximité. Si nous pouvions y passer la nuit (à condition qu’on nous accorde l’hospitalité…), nous pourrions nous reposer et nous serions en de meilleures conditions pour nous occuper de la Jeep le lever du soleil, dès que le ciel serait plus clément… Le plan était bon et tout le monde y a adhéré. Nous nous sommes donc mis en marche.

« Il y avait bien une lumière. Elle provenait du deuxième étage d’un manoir. Comme aucun fil électrique ne semblait se rendre jusqu’à la maison, on en a déduit que ça venait sans doute d’une chandelle ou d’une lampe. Il était temps que nous arrivions : nous avions beau être dans les bois, nous frissonnions, trempés jusqu’aux os. Nous avons rapidement gravi les escaliers et l’un de nous a frappé à la porte…. Aucune réponse. Nous avons à nouveau frappé… Toujours rien. On ne nous avait pas entendu. Nous avons donc poussé la porte et sommes entrés.

« Le hall d’entrée était impressionnant. Une grande pièce s’étirait devant nous, et se terminait dans un large escalier qui se divisait en deux et pointait vers les côtés gauche et droite du second étage. Au premier, il y avait deux portes de chaque côté de nous. La seule source de lumière se limitait aux chandeliers accrochés aux murs, et leur lueur tamisée ajoutait quelque chose de sinistre à la pièce. L’un de nous a appelé à voix haute, demandant si il y avait quelqu’un… mais seul le silence nous a répondu. Rien pour rassurer… Si j’avais écouté mon instinct, j’aurais fait demi-tour et filé en direction de la voiture, et au diable les bonnes nuits de sommei! … Je me suis contentée de pousser un commentaire sur les lieux, disant à qui voulait l’entendre que ça me rappelait quelques vieux films d’horreur: du coup, je me suis retrouvée engagée avec Blink dans une discussion sur le cinéma d’épouvante.

« Comme personne ne nous répondait, nous avons donc décidé de nous asseoir un moment dans le couloir pour récupérer un peu et panser les blessés. Bon, j’ai essayé d’être gentille avec Rambo (qui s’appelait en fait « Flash ») et soigner magiquement ses blessures. Il m’a repoussé. Il m’a dédaigné! Môôôsieur n’aime pas la magie! Elle était bonne, celle-là : j’aurais été en position de lui sauver la vie qu’il m’aurait repoussé parce qu’il n’a pas confiance en la magie. Pff… maudit humain… Loki s’est chargée de son cas. Bon débarras.

« Comme nous n’avions plus rien à faire, nous sommes partis en exploration des lieux (et à la recherche des habitants, bien entendu). En fait, Lunatics avait déjà commencé sans nous. … C’est d’ailleurs lui qui a trouvé les premiers occupants… les premiers cadavres. Dans la salle à dîner, trois personnes vêtues de blanc étaient étendues par terre, la peau violemment lacérées. Une femme, également habillée en blanc, s’est élancée dans les bras de Lunatics et lui a dit que son fils se trouvait quelque part dans la maison : elle lui a fait promettre de le protéger… mais au même moment, un couteau, lancé d’on ne sait où, s’est planté dans la tête de la femme et elle s’est écroulée, morte.

« Ce qui s’est passé suite à cet épisode peut paraître illogique, mais c’est quand même ce qui s’est produit. Nous avons divisé notre groupe en deux : Blink et moi sommes restés dans un petit salon, la pièce voisine à la salle à dîner, Lunatics, Flash et Loki ont continué leur tour d’exploration. Blink, qui était affamée, s’est mise en quête de quelque chose à grignoter. Pour ma part, j’étais épuisée (la magie, ça vide, et je savais que je ne serais efficace que reposée). Alors que Blink se débattait joyeusement avec les boîtes de conserve (de la vraie nourriture ! Savez-vous comment il est rare d’en trouver aujourd’hui ?), je me suis étendue de travers dans un fauteuil et me suis assoupie. Oui, j’ai tenté de dormir alors qu’il y avait des morts à deux pas de moi et que leur meurtrier courrait peut-être toujours dans la maison. Mais ce n’était décidément pas mon soir de chance : moins d’une dizaine de minutes plus tard, j’ai été réveillée en sursaut par des coups de feu, non loin de moi. Blink n’avait trouvé d’autres moyens de me réveiller et d’alerter le reste de l’équipe… car les morts s’étaient levés ! D’ailleurs, il y en avait un qui se tenait à 5 mètres de moi et qui progressait lentement dans ma direction. Bénissant silencieusement la promptitude de ma jeune camarade, j’ai bondi hors de mon fauteuil et j’ai fait en sorte que le meuble se trouve entre l’indiv… l’homm… le… ça et moi. L’analyse de la situation a été rapide : l’homme qui progressait vers moi était bien habillé comme un des cadavres, et bien que je n’aie pas vu leurs visages, il me semblait évident que personne avec des plaies aussi largement ouvertes auraient pu marcher sans gémir de douleur, sans tenter de retenir le sang qui coulait toujours… Du coin de l’œil, je voyais Blink qui combattait ses deux adversaires, se servant de la table pour n’en combattre qu’un à la fois, distribuant coups de pied et coups de fusil avec adresse (tiens tiens, un adepte physique… toujours utile). De mon côté, j’ai balancé une boule de feu à mon adversaire… ce qui n’a pas eu l’air de le ralentir. Je l’ai achevé d’une balle dans la tête.

« Je ne me souviens plus si nos coéquipiers sont arrivés vers la fin du combat ou après, mais ils ont accouru aussi vite qu’ils le pouvaient. Notre histoire de morts qui se relèvent a été difficilement crue (Lunatics prenait un malin plaisir à nous traiter de folles), mais la nouvelle directive a été claire : on ne se sépare plus ! En fait, ce qui n’aidait pas à notre crédibilité, c’est que Blink affirmait qu’il y avait quelqu’un d’autre dans la pièce au moment de notre rixte. Quels mots avait-elle utilisé déjà ? Ah oui… Après le combat, elle avait essayé de « voir les choses autrement » et avait réussi. Elle avait vu un individu en robe longue, le visage caché sous un long capuchon. C’était tout ce qu’elle avait pu voir avant qu’il ne disparaisse. Personne n’avait vu qui que ce soit sortir de la pièce. Étant la seule magicienne du groupe, j’en ai déduit que Blink avait réussi à percevoir quelque chose voyageant dans le monde astral (tous les magiciens peuvent le faire, certains peuvent même sortir de leur corps pour y voyager, et je sais que certains adeptes peuvent également le faire), et que c’était visiblement un ennemi à ne pas négliger… Personnellement, je n’avais jamais entendu parler de sortilège qui puisse lever les morts, ou même ramener les morts à la vie, mais je sais que des magiciens très inventifs peuvent créer des sortilèges à partir de la magie « standard ». Pour créer un sortilège qui s’approcherait de la nécromancie, il fallait avoir affaire à un individu particulièrement cinglé… Si il s’agissait d’un magicien, nous le retrouverions éventuellement dans cette maison, (un mage s’éloigne rarement de son corps, encore moins sur une grande distance). L’autre hypothèse… c’était qu’on ait affaire à un esprit ou toute autre créature dite « magique », et ça ce n’était pas rassurant. Encore aujourd’hui je ne sais pas grand-chose des esprits (Shannon savait que je n’arriverais jamais à en conjurer : certains magiciens y arrivent, d’autres non) ; j’étais donc mal placée pour savoir si les esprits avaient la capacité de lever les morts ou non. Si nous avions affaire à un esprit, nous serions confrontés à un adversaire contre lequel je n’avais que peu de connaissances…

« Nous avons continué dans l’aile droite du premier étage, et sommes arrivés dans une pièce vraiment étrange… et… très belle à la fois. Une grande pièce avec des bacs de roses partout, et au centre de la pièce se trouvait une fontaine. L’un de nous a eu l’étrange idée de se pencher au dessus de l’eau et y a vu… une horloge submergée, les aiguilles immobiles. L’un de nous, ailleurs dans la pièce, a trouvé un mot qui parlait d’heure et de passage qui s’ouvre. Pas difficile de comprendre qu’un mécanisme était lié à l’horloge et, qu’une fois qu’elle serait à la bonne heure, un passage s’ouvrirait. Pour raccourcir l’histoire, Flash a trouvé le mécanisme et le passage s’est finalement ouvert.

« Je passe rapidement tout ce que nous avons vu : nous avons trouvé dans une pièce six cadavres autour d’un pentagramme (l’histoire de l’esprit tenait encore debout : essayaient-ils de créer ou d’appeler un esprit, qui a finalement échappé à leur contrôle ? Essayaient-ils de protéger ou de bannir quelque chose ?). J’ai passé la pièce en vision astrale… et je l’ai vu. Comme Blink l’avait décrit. Mais j’avais, en prime, eu le temps de voir ses mains squelettiques qui se sont levées, ont fait un geste vague dans les airs avant de disparaître (bien entendu, personne à part moi l’a vu)… et l’instant d’après les morts se sont levés pour nous attaquer. Mus par un accord silencieux, nous nous sommes contentés de courir vers la sortie et de refermer la porte derrière nous, économisant ainsi des munitions.

« Nous serions bien partis dans la seconde qui a suivi… mais encore fallait-il trouver l’enfant ! Et croyez-vous qu’il nous a suffi d’éviter les morts pour que tout aille bien ? Bien non ! Le passé est un grand tourmenteur et il s’est également mis de la partie… Ça a commencé par une première toile, accrochée à un mur, signée « Tiphereth ». Un bateau de guerre au port d’une ville. Blink n’en était pas certaine, mais elle a dit que le bateau éveillait quelque chose de familier, qu’elle avait déjà mis les pieds dans un lieu ressemblant à celui-là, lors d’une mission… Il y avait d’autres tableaux étranges (un boisé en plein milieu d’une ville d’où cinq points lumineux et gigantesques brûlaient en forme de pentagramme, pour ne nommer que celui-là)… mais l’un d’eux a provoqué une réaction violente chez Flash, au point qu’il ressente le besoin de saisir quelque chose, n’importe quoi, et de le fronder contre un mur. Il lui a fallu quelques minutes pour reprendre ses esprits avant qu’il nous explique enfin… Il y avait trois personnes sur le tableau : deux ex-coéquipières de Flash (Karine et Amélia), ainsi qu’un vieil homme qu’il avait rencontré lors d’une mission. Karine, reconnaissable par sa gigantesque faux, ainsi que le vieil homme, se trouvaient debout, alors qu’Amélia était allongée sur le sol, décapitée. Cette scène, Flash nous l’a dit, n’a jamais eu lieu, mais Karine a trahi son équipe, et Amélia a été internée, rendue folle par certaines expériences désastreuses survenues lors de leurs aventures. Visiblement, que quelqu’un ait peint un épisode de sa vie dont LUI SEUL devrait se souvenir était au dessus de ce qu’il pouvait admettre, était tout bonnement inconcevable! Mais le pire aux yeux de Flash (et il insistait sur ce point), c’était que cette histoire remontait à l’année dernière alors que le tableau avait été peint il y a quatre ans, à en croire sa datation… Aucun tableau ne s’est adressé à Lunatics, Loki ou moi, mais c’était très bien comme ça…

« Nous avons continué notre « promenade digestive ». À une ou deux reprises, nous avons entendu un violent rugissement et des bruits, des craquements, comme des portes qu’on défonce. Nous avons pressé le pas. Et puis… nous avons ENFIN trouvé l’enfant, un enfant d’une dizaine d’année tout au plus… Il était assis sagement, à peindre un tableau. Au pas de sa porte se trouvait un cercle de protection (un cercle TRÈS puissant), mais nous l’avons passé aisément. Visiblement, sa puissance s’appliquait pas à nous. L’enfant peignait toujours, ignorant notre présence. Ce qui était… inquiétant, c’était qu’il avait beaucoup d’autres toiles autour de lui, et que toutes avaient le même nom d’auteur : Tiphereth… Tiphereth… Tiphereth… C’était donc lui ?! C’était lui qui avait peint tout ça ? C’était donc avec un certain malaise que nous nous sommes adressé à lui, que nous lui avons annoncé la mort de sa mère, que nous allions nous occuper de lui dorénavant… Notre malaise monta d’un cran quant à l’attitude de notre jeune interlocuteur : il n’avait aucune émotion. Pas de peine, pas de peur, pas de colère, même pas un once de snobisme ou d’arrogance. Ça ne ressemblait même pas à de l’indifférence : c’était plutôt comme si il était incapable de ressentir la moindre émotion… Bon, nous n’avions vraiment pas de temps à perdre ici, alors allons nous-en !

« Ça aurait sans doute été plus simple de partir si, dans la pièce voisine, il n’y avait pas eu ce gros monstre ailé, faisant 3 mètres de haut, pour nous servir de comité d’au revoir… ou de portier? Visiblement, il n’avait pas l’intention de nous laisser partir. Tout à fait entre nous, j’ignorais d’où il sortait, et comment nous allions nous en débarrasser, mais mes compagnons ne se sont pas vraiment questionnés à ce sujet et ont commencé à tirer. Dès les premiers instants du combat, certains d’entre nous ont découverts (comme quoi l’intelligence humaine existe…) que le cercle pouvait nous protéger contre le monstre. Bingo ! Bon, Flash a eu le temps de se faire blesser par les griffes démesurées de cette chose, mais à mes yeux c’était un menu détail… J’ai senti quelque chose tirer sur ma manche : c’était le petit garçon, Tiphereth. Il m’a pointé quelque chose dans le vide, en direction du mur opposé. Alternant en vision astrale… (Elle soupire : )… le fantôme ou l’esprit était là. C’était donc lui qui contrôlait la créature, comme il contrôlait les morts ? Donc… oui, je vois que vous comprenez, si je détruisais l’esprit, le monstre disparaîtrait également. J’ai donc commencé à attaquer notre « ami astral ». Tiphereth en a fait de même (cet enfant est décidément une surprise sur pattes…) avec un sortilège d’éclair. À nous deux, nous avons pu arriver à quelque chose. Les deux ont disparu en même temps, l’esprit et le monstre. Alors que nous nous félicitions pour cette victoire, l’enfant a pété notre bulle en nous disant que l’esprit n’était pas mort, qu’il allait revenir, ce qu’il faisait à chaque fois. L’enfant n’en était donc pas à sa première confrontation… Ce que lui voulait l’esprit, ça ne semblait pas plus clair pour lui que pour nous, mais nous savions que nous devions protéger le petit Tiphereth à tout prix…

« Nous avons filé hors de la maison (le jour commençait à poindre, la pluie avait cessé) et avons redressé notre véhicule. Guidée par Flash, qui avait, selon ses propres dires, une bonne planque, Loki nous a conduit vers un repaire où nous pourrions finalement dormir… et entrer, pour la première fois, en contact avec la Rébellion… »

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